Fil Twitter reproduit ici en intégralité, mis en forme, complété et corrigé, en complément à l’article publié ce jour)
Le passé: la « troisième force »
Dans notre histoire, la « grande coalition », on a déjà essayé. Entre 1947 et 1958. Cela s’appelait la « troisième force » et excluait les gaullistes (qui s’opposaient à la constitution votée en 1946) et les communistes (ostracisés par les autres partis et eux même s’excluant de toute participation gouvernementale pour cause de guerre froide), allait de la droite non-gaulliste aux socialistes, formant les gouvernements de la 4e république.
La « troisième force » était ce que De Gaulle appelait un « régime des partis » (ce que le FNRN appelait UMPS des années 90 aux années 2010), une coalition hétéroclite gérant essentiellement le statu-quo et incapable de prendre de réelles décisions lors des crises majeures car son fonctionnement même la rendait plus influençable aux différents lobbys – le lobby colonial notamment.
Composée d’une dizaine de petits partis coalisés autours des trois grands partis structurés (Radicaux, centristes MRP et Socialistes SFIO), ses gouvernements tombaient régulièrement au gré des difficultés rencontrées pour finir avec de nouveaux gouvernements composés des mêmes ministres à un rôle différent. Chaque gouvernement, penchant tantôt à droite, tantôt à gauche, pratiquait en définitive la même politique avec les mêmes hommes.
François Mitterrand était de ces hommes politiques appartenant à de petits partis. Le siens était l’USDR, parti politique charnière nécessaire à la constitution de tout gouvernement, classé, pour l’époque, plutôt au centre-droit.
Le seul premier ministre (appelé alors « Président du Conseil ») à avoir tenté de réellement gouverner et prendre des décisions fortes fut Pierre Mendès-France qui, durant 7 mois, jusque début 1955, sut mettre fin à la guerre en Indochine avant de tomber lors de l’éclatement de la guerre en Algérie, suspecté jusque dans son propre parti de « vouloir négocier avec les terroristes ».
Les 7 mois de son gouvernement ont impressionné la jeunesse mais n’ont en rien changé le cours des choses pour les combinaisons de « la troisième force ».
« Le centre, c’est la droite »
La « troisième force » était mue par les petites ambitions de politiciens sur le retour ou d’apparatchiks. En 1956, alors qu’une coalition de gauche dite de « Front Républicain » sortit victorieuse des élections pour faire des réformes sociales et mettre fin à la guerre en Algérie, le Président du Conseil socialiste Guy Mollet envoya le contingent en Algérie et interdit les célébrations du 14 juillet à cause de la « menace terroriste »! Le gouvernement ferma les yeux sur les cas de torture rapportés par la presse – qui parfois fut même frappée de censure au nom de « la sécurité nationale ».
Les électeurices, dans leur très grande majorité, avaient voté en pensant que Mendès-France serait nommé Président du Conseil.
Le parti socialiste SFIO perdit des militants, parmi lesquels le jeune Michel Rocard qui, avec d’autres, fonda le PSA puis PSU, en opposition à la guerre coloniale.
En 1958, alors que les gouvernements successifs avaient enlisé la France dans une guerre coloniale où les socialistes s’étaient fourvoyés dans une répression brutale de toute opposition, le putsch des militaires à Alger en mai 1958 porta la crise politique à son paroxysme.
Le 13 mai 1958, les militaires lancèrent un ultimatum et réclamèrent De Gaulle ainsi que le maintien de l’Algérie dans l’ « empire ».
Les différents partis refusèrent d’abord avant d’accepter car plus personne n’était en mesure de décider. Ce fut la fin de la 4e république.
De Gaulle devint Président du Conseil, demanda les pleins pouvoir pour six mois et avant même de s’occuper de l’Algérie, confia à Michel Debré la tâche de rédiger une nouvelle constitution. La 5e république fut approuvée par référendum en octobre 1958 et entra en vigueur en janvier 1959. Il fut nommé Président.
Lors de la prise de pouvoir par De Gaulle, les forces politiques de « troisième force » protestèrent puis négocièrent leurs postes. Le socialiste Guy Mollet participa ainsi à la rédaction de la nouvelle constitution malgré une forte opposition du peuple de gauche et de Mendès-France.
C’est de l’opposition entre un parcours de doctrinaire « marxiste » très à gauche et un alignement atlantiste ou sa politique coloniale que naquit l’adjectif « molletiste »: discours très à gauche, pratique de droite.
Le Parti Socialiste CONTRE « troisième force »
La SFIO cède la place au Nouveau Parti Socialiste en 1969 et tient en 1971, à Épinay, son « congrès de l’unité ». Le texte final, porté par la coalition Poperen-Chevènement-Mermaz-Mitterrand (qui vient tout juste d’adhérer) et voté en opposition à la direction sortante d’Alain Savary soutenu par Guy Mollet, spécifie son rejet catégorique à tout retour à la stratégie de « troisième force » au profit de la stratégie dite « Union de la gauche »:
« il est clair qu’une majorité existe dans le parti:
– pour mener à bien la rénovation de l’action politique en France;
– pour exclure toute stratégie de troisième force. »
Motion d’orientation du Parti Socialiste adoptée par le congrès de l’unité Epinay-sur-Seine les 11-12-13 juin 1971
La coalition autours de François Mitterrand défend la rédaction d’un nouveau programme socialiste basé sur la stratégie de Front de Classe (Jean Poperen) devant déboucher sur l’union avec les communistes. L’idée centrale est de mettre le Parti Communiste devant ses responsabilités. La direction sortante, quand à elle, considère que les conditions de l’union avec les communistes ne sont pas en place et qu’il convient d’abord de fédérer les forces politiques « opposées » au gaullisme.
Il s’agit d’une version rajeunie de la « Troisième Force » et ressemble à s’y méprendre à la stratégie proposée récemment par Nicolas Meyer-Rossignol, Carole Delga et Raphaël Glucksmann ou Bernard Cazeneuve. La « Troisième Force », rebaptisée « grande coalition ».
Les « grandes coalitions » ne marchent pas
Alors que depuis quelques jours plane l’idée de « grande coalition », il est bon d’avoir en tête que les « grandes coalitions » ne fonctionnent pas et mènent souvent à l’impuissance avant de finir avec une poussée des mouvements d’extrême-droite.
Ainsi, on donne souvent l’Union Européenne comme un « bon exemple » avec son parlement où on bâtit les « majorités de projets », mais la défiance grandissante envers ses institutions européennes démontre que cela ne fonctionne pas.
En Allemagne, la « grande coalition » de Merkel, alliant conservateurs et sociaux-démocrates a repoussé des réformes ainsi que de nombreux investissements en imposant l’austérité budgétaire, tout cela après que les sociaux-démocrates aient eux même fléxibilisé le marché du travail et dérégulé l’économie: aujourd’hui, l’extrême-droite y est la seconde force politique et le SPD est en voie de marginalisation comme l’a été le PS avec François Hollande.
La France traverse une crise politique qui ne trouvera d’issue que par une réforme institutionnelle renforçant le rôle du parlement et du premier ministre, délimitant strictement le rôle du président et modifiant le mode de scrutin.
Une « grande coalition », tout comme hier la « troisième force », ne fera que reculer l’échéance avec in fine la victoire de l’extrême-droite et un désir de gouvernement fort.
Compléments
Une pétition pour lancer une réforme institutionnelle. Je la soutiens, comme je l’argumente ce jour dans l’autre article.
Laisser un commentaire